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18 juillet 2012 3 18 /07 /juillet /2012 08:13

Joëlle Zask

 

"Ethiques et politiques de l'interaction. Le self-government à la lumière du pragmatisme" (Partie 1)

 

 Paru dans Daniel Cefaï et Isaac Joseph (ed), Héritage du pragmatisme, Éditions de l’Aube, 2002

 

 

 

 

 

 

 

3. Politiques de l’interaction

 

Dans un troisième sens, on peut donc interpréter la recherche de “l’équilibre” dont Dewey fait sa priorité en termes de pratiques politiques concrètes. Une politique qui confond culture et traditions est “communautarienne” ; celle qui confond individualité et individu est “libérale”. En revanche, une politique qui prend acte du caractère potentiellement interactif de la vie humaine est dévolue à créer les conditions susceptibles de donner lieu à une expérience complète, c’est-à-dire à une expérience définie par l’interaction et la continuité. Comme on l’a déjà remarqué, ceci implique que les dispositions individuelles soient développées de sorte que la personne devienne un centre conscient et unitaire de la série d’expériences qui forment l’histoire de sa vie, son passé et son avenir, ses souvenirs et ses espoirs.

Une fois ce point de vue adopté, deux directions se dessinent : d’un côté, on peut être conduit à retravailler les principes sur lesquels repose une politique démocratique, à la lumière de l’idéal moral qui la dirige. De l’autre côté, on peut aussi se sentir contraint de reconnaître que la démocratie est à la fois l’expérience et le concept dont les notions d’interaction, de situation ou d’acteur sont dérivées. Parmi tous les développements possibles de cette position, on se bornera à formuler l’hypothèse suivante : même réduite à une tendance ou à un “non-encore-être”[1], l’aptitude d’un individu à agir sur les conditions qui l’affectent — non comme une “praire”, mais comme un centre conscient d’expériences — et à réorganiser sa conduite en relation avec l’évaluation des conséquences de sa conduite antérieure, est identique à ce que la tradition démocratique anglo-saxonne a appelé self-government. Si cette hypothèse se vérifie, les raisons pour lesquelles il n’est pas légitime de négliger la dimension politique de la formation de l’individualité (donc la situation et l’interaction) au profit d’un langage d’observation neutre et descriptif, apparaîtront plus clairement.

Le self-government[2] est l’une des notions les plus riches que la tradition libérale américaine ait léguée. Dans le Fédéraliste n°39, Madison écrit qu’en tant que partisan de la liberté, il souhaite “fonder toutes nos expérimentations politiques [de forme républicaine] sur l’aptitude de l’humanité au self-government”. Jefferson écrit également que toutes les dispositions institutionnelles de la République doivent respecter “le droit imprescriptible des hommes au self-government”. Il déclare aussi dans une lettre à John Adams qu’il s’agit là de “la valeur la plus haute pour l’homme[3]”. On retrouve cette notion par exemple chez Tocqueville, surtout au cours de ses analyses portant sur les sociétés politiques qu’ont formées les Colonies de Nouvelle-Angleterre (ou les “communes” : townships) avant la révolution américaine, dans lesquelles il voit l’origine des mœurs politiques du nouveau monde : “La société y agit par elle-même et sur elle-même.[4]” Des arguments équivalents sont réitérés dans tous les passages de La démocratie en Amérique traitant du “dogme de la souveraineté du peuple”. Et bien sûr, même si la notion n’est pas souvent utilisée telle quelle, Dewey peut apparaître comme un champion du gouvernement de soi sous la forme d’un retravail de la notion de participation : non prendre une part, mais prendre part.

On ne peut qu’évoquer ici à quel point le principe du self-government s’oppose aussi bien à la théocratie qu’aux pratiques de délégation du pouvoir divin à un monarque ; comment il est le pivot pour juger illégal un gouvernement lointain et autocratique ; comment il sert de critère pour distinguer entre un peuple servile et un peuple libre ; enfin, comment toutes les dispositions couchées dans la Constitution américaine, notamment dans ses dix premiers amendements, en dérivent. Le point intéressant à noter ici d’emblée, c’est que la notion de self-government s’applique sans distinction à l’humanité tout entière, à chaque homme en particulier, aux communautés et associations autonomes, et à l’État, voire même, dans le contexte de la lutte contre l’oppression britannique dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, à l’Union issue de la fédération des États.

Afin de penser le rapport entre individu et collectivité, les théories politiques et sociales recourent souvent à des analogies, dont la valeur est parfois surtout métaphorique, par exemple : l’analogie platonicienne entre la tripartition de l’âme et celle de la cité, ou celle qui prévaut encore aujourd’hui entre le droit naturel individuel et le “droit des gens” (ou droit international) ­­­­ — ce qui mène à personnifier les collectivités (et permet d’adopter cette démarche si prisée consistant à tirer d’un petit nombre de principes, l’explication d’une grande variété de phénomènes). Dans le cas du self-government, il ne s’agit nullement d’une analogie, mais d’une identité de fonction : celle qui consiste à donner une direction à ses propres activités dans l’adversité. De fait, mythe ou réalité, l’expérience “communale” des Pèlerins que de nombreux américanistes jugent fondatrice est évoquée avant tout comme l’expérience de l’union d’hommes libres dans l’adversité[5]. La commune est le cadre où ces hommes s’associent en échangeant des promesses mutuelles afin d’avoir confiance les uns dans les autres, et d’être ainsi unis face au danger, bêtes sauvages, maladies, Indiens sanguinaires, nature hostile. C’est là que naît et se développe “l’esprit de liberté” qui, d’après Tocqueville, inspirera toutes les mesures politiques que prendront les Américains par la suite. C’est aussi là que les colons, écrit Arendt, “découvrent, comme par inadvertance, la grammaire élémentaire de l’action politique et sa syntaxe déjà plus compliquée[6]”, c’est-à-dire l’expérience politique proprement dite. Dans la commune se combinent l’initiative personnelle et la prérogative de l’association. Par la promesse, personne n’abandonne un droit ou ne sacrifie une partie de son pouvoir. Mais en engageant sa parole, chacun acquiert quelque chose qu’il ne possédait pas auparavant, l’union au lieu de l’isolement, l’égalité comme participant à l’échange des promesses mutuelles, l’éducation et la protection. 

En reprenant les termes qui ont prévalus plus haut, on peut dire que le self-government est l’art de recombiner les modalités de l’action en fonction de la conscience que l’intéressé a des circonstances fortuites qui l’affectent, puis en fonction des obstacles et des ressources que son environnement présente. Si le fait que l’intéressé soit l’individu ou le groupe implique une différence importante quant aux procédures destinées à déterminer les finalités d’une entreprise, en revanche, les activités destinées à réorienter la conduite dans un mouvement qui, au même moment, rend les habitudes conscientes et inutiles, sont les mêmes. Dans les deux cas, l’individualité et le milieu sont transformés : du côté du milieu, non se plier aux circonstances, mais les changer, les étudier, les trier, souvent les monter les unes contre les autres — “check and balance” ; du côté de l’individualité, non pas “suivre sa nature” — car il n’y a aucune nature sinon cette aptitude (fragile) à se gouverner sans un maître —, mais reconstruire ses désirs et son vouloir en fonction des possibles que présentent les effets concrets de l’association, apprendre, redéfinir en permanence ses intérêts et son bien. Le self-government ne consiste pas dans des activités qui seraient destinées à apporter quelque chose à un individu d’ores et déjà constitué, éprouvant des intérêts et des désirs tout faits, parce qu’ils tendraient vers l’accomplissement de sa “nature”. En tant qu’interaction politique, le self-government mène à peaufiner sa nature au contact des expériences historiques qui forment un contexte de vie, un sens et une direction. Cette forme de gouvernement est dans l’histoire le point de rencontre entre le ressort anthropologique de la conduite et la capacité à créer un ordre qui à la fois protégera et développera l’homme par rapport aux “questions qu’il se pose à lui-même[7]”. Se gouverner soi-même, c’est nécessairement se changer, agir sur sa conduite en fonction des circonstances, des rencontres et des nécessités. Car le gouvernement n’est requis que pour ce qui change et est affecté par des changements : une “situation”. Puisque toute expérience est une relation à l’altérité et à ce que l’altérité fait changer en quiconque en fait l’expérience, le self-government est la forme la plus élevée de l’interaction, sa dimension politique ; et cela, aussi bien dans la recherche scientifique que dans l’éducation, aussi bien dans l’art que dans l’État.

Le self-government n’est donc pas de même nature que la maîtrise et le pouvoir. Dans le premier cas, il s’agit pour une personne ou une association, peu importe, de faire face à une “situation problématique”, ou de s’orienter continûment dans un monde par nature imprévisible, ou plus exactement, dans un monde d’activités dont les conséquences sont nécessairement en partie imprévisibles. A son tour, cela suppose qu’il faille avoir l’idée qu’une situation qualifiée de problématique inclue la possibilité qu’une circonstance particulière soit définie de sorte que ses traits caractéristiques puissent être identifiés et utilisés. En revanche, dans le second cas, la logique n’est plus de diriger mais d’arrêter : si le gouvernement guide, le pouvoir comprime. Le premier est une transaction entre une individualité et un monde extérieur ; le second est toujours unilatéral et, quand il s’exerce de manière réflexive, comme dans le cas d’un “empire” sur les passions ou d’une distinction des pouvoirs dans l’État, il sert à diviser pour limiter. Peut-être pourrait-on d’ailleurs discerner ici deux positions en théorie politique : celle qui va du gouvernement de soi à l’autodétermination en passant par l’autorité[8], et celle qui va de la puissance à la souveraineté en passant par le pouvoir. Ce sont semble-t-il ces deux logiques qui opposent les “Pères Fondateurs” du système politique américain : Jefferson est partisan d’une “gradation de l’autorité”, tandis que la logique de Madison est celle d’une neutralisation des pouvoirs les uns par les autres, des couches les plus basses de la société jusqu’aux plus élevées. Enfin, alors que le pouvoir suppose de contenir une tendance ou un effort dont la direction est donnée d’avance, par exemple au titre d’ingrédient essentiel de la nature humaine (comme l’agressivité dite naturelle) ou, par dérivation, de celle des corps politique, le gouvernement de soi consiste plutôt à s’éprouver au contact du monde extérieur afin de déterminer ce qui est bon pour soi. Se diriger implique de savoir où l’on va, et ce savoir n’est que rarement spontané.

Contrairement aux idées reçues, le droit au self-government ne repose donc pas vraiment sur le fait que l’intéressé sait mieux que quiconque quelle chaussure va à son pied, et par extension, ce qui est bon pour lui. En réalité, si chacun avait une idée claire de ce qui lui convient, il n’y aurait aucun besoin de gouvernement. Chacun apercevrait immédiatement que “rien n’est plus utile à l’homme que l’homme” (Spinoza) ou que l’union vaut mieux que l’isolement. Le self-government est un principe qui provient plutôt du fait que la personne la mieux placée pour juger où la chaussure blesse est celle qui l’a à son pied et, par extension, que les personnes affectées par un trouble sont plus aptes à situer et à définir leur intérêt que des personnes qui ne l’éprouvent pas.

Il est maintenant intéressant de remarquer que la théorie politique pragmatiste que Dewey a développée met en scène et coordonne tous les éléments par lesquels nous avons pu mettre en correspondance l’interaction comme idéal et l’expérience politique : l’imprévisible, l’entreprise commune dans son autonomie à l’égard d’un contrôle extérieur, l’expérimentation politique et l’enrichissement de l’individualité. Tout d’abord, peut-être semblera-t-il curieux d’enrôler Dewey au côté des récits de fondation américains. Cela est en réalité tout à fait motivé : car, non seulement, Dewey a fourni un gros travail plein d’admiration pour faire relire à ses contemporains les écrits de Thomas Jefferson qui avaient été en grande partie oubliés, mais il a en outre destiné toutes ses activités philosophiques au repérage et la promotion des valeurs qu’il jugeait spécifiques à l’Amérique, et qui lui semblaient selon les cas étouffées ou masquées par les valeurs que la vieille Europe avait exportées, l’individualisme, l’élitisme et l’esprit pécuniaire en particulier[9]. L’expérience du “nouveau monde” est l’héritage sur lequel se construit le pragmatisme : “Le monde est précaire et périlleux[10]”. On peut voir dans la définition pragmatiste de l’expérience comme liaison transformatrice entre subir et agir l’expression de la valeur que constitue un esprit d’expérimentation, car cette dernière assure à la fois la “croissance” de l’individualité et la diversification de l’environnement. Comme l’avait écrit Bergson à William James en le citant, cela suppose que le monde soit ouvert, “in the making”, et que son exploration active ne soit motivée par rien d’autre que par les idées ou les fins qu’un contexte d’expérience particulier fait naître[11].

Les traits par lesquels on a caractérisé plus haut les premières communes américaines confèrent également à la politique le statut d’une expérimentation. Car la combinaison entre affronter l’imprévisible et s’associer impose de destiner les institutions communes à forger le cadre légal dans lequel l’orchestration des changements en vue du maintien de la liberté de tous pourra être menée. Cela revient à instituer le self-government, c’est-à-dire à créer un système juridique et une administration qui tout à la fois garantissent l’action individuelle sur les conditions de l’association (par exemple sous la forme des consultations électorales ou de la liberté de la presse), et la remise en chantier des modes d’association aussi souvent que l’action individuelle ne peut plus les modifier — donc aussi souvent que les conséquences des activités de certains bloquent le continuum des expériences associatives. Et cela constitue une tâche qui est toujours à reprendre, en fonction du caractère des associations dominantes et de l’impact de leur activité : “Les États-Unis ne sont pas encore faits[12]”.

Une communauté se gouvernant elle-même procède donc de l’union de personnes capables d’agir sur les liens qui les unissent. Contrairement à des formes de vie communautaire fondées sur des traditions communes, des habitudes ou des normes coercitives, l’association de type “communal” dont il est question ici est un milieu dans lequel l’individualité ne se dissout pas, tout au contraire ; car l’association volontaire forme l’environnement le plus propice à l’exercice par chacun de son originalité et de son irréductibilité aux conditions de vie. Prendre part à la vie du groupe auquel on appartient revient à influer sur les conditions de l’association et contribuer à la définition des finalités en vue desquelles elle existe. En cela, c’est le milieu le plus favorable au renouvellement continu des significations de l’expérience sociale, et donc au développement de l’individualité.

Ces dernières remarques fournissent un critère quant au bien-fondé et à la limite de l’intervention gouvernementale. En fait, les processus d’exclusion sont tout aussi nombreux que les mécanismes de participation, même dans les sociétés les meilleures. Dans un monde changeant, les rapports entre subir et agir peuvent sans cesse s’inverser. Et au cours de la vie sociale, les activités des associés dans telle ou telle entreprise sont toujours susceptibles de supprimer les opportunités d’action des autres. Certes, il n’est pas toujours humainement possible de rétablir l’interaction et les procès d’individuation que des obstacles à la continuité des expériences peuvent condamner. Mais dans les cas où le rétablissement des opportunités d’action en faveur des personnes lésées est possible, c’est alors qu’intervient l’État. Rétablir l’interaction, telle est sa fonction, et, en même temps, sa limite d’intervention.

Rappelons les phrases par lesquelles Dewey commence son récit de la formation des États : “Nous prenons donc notre point de départ dans le fait objectif que les actes humains ont des conséquences sur les autres, que certaines de ces conséquences sont perçues, et que leur perception mène à un effort ultérieur pour contrôler l'action de manière à assurer certaines conséquences et à en éviter d'autres. Suivant cette indication, nous sommes conduits à remarquer que les conséquences sont de deux sortes : celles qui affectent les personnes directement engagées dans une transaction, et celles qui en affectent d'autres au-delà de celles qui sont immédiatement concernées. Dans cette distinction, nous trouvons le germe de la distinction entre le privé et le public. Quand des conséquences indirectes sont reconnues et qu'il y a un effort pour les réguler, quelque chose qui a les traits d'un État commence à exister[13].” Cette citation peut servir de base pour circuler dans les aspects de la pensée politique de Dewey qui intéressent directement ce qu’on appelle ici les “politiques de l’interaction”.

En abandonnant provisoirement le modèle communal qui a été ébauché plus haut, on peut commencer par prendre acte d’une définition “désenchantée” du public. Celui-ci n’est plus le garant de la moralité, l’élément de l’universel ou le lieu de l’excellence humaine. Il n’est pas davantage, remarquons le, l’espace où se déchaîneraient les puissances diaboliques. Au départ, le public est simplement l’ensemble des personnes dont les conditions de vie ne forment plus une “situation”. Et puisque la situation a été définie comme une dynamique d’échanges et d’équilibrage entre l’individu et son environnement, il apparaît que le public est composé de personnes dont les conditions de vie ne permettent plus ni qu’elles développent leur individualité, ni qu’elles contribuent à redéfinir et retravailler les liens sociaux dans lesquelles elles se trouvent prises, ni enfin que l’influence que leurs besoins ou leurs désirs peuvent exercer sur les conditions de l’association puissent encore se faire ressentir. L’interdépendance en tant que telle produit l’exclusion. L’ouvrier dont le corps est enrôlé dans des opérations dont son esprit ne peut dégager aucune positivité, l’élève que l’école exclut de la formation des savoirs, les victimes de la guerre mondiale ou celles des crises du capitalisme, tels sont quelques-uns des faits qui produisent plus qu’ils n’illustrent les analyses politiques de Dewey, ainsi que ses nombreux engagements durant les années trente aux côtés des progressistes, des “libéraux radicaux” et des socialistes. Cette finalité morale de la reconstruction du public, qui fonde la légitimité du régime démocratique, interdit que le public soit conçu comme une collection d’individus, ou comme un organisme[14].

Cette société alors relativement nouvelle reposant sur une interdépendance humaine considérablement accrue a été nommée au début du siècle “La Grande Société”, un concept de Graham Wallas qui est fréquemment repris par la suite[15]. Ce qui frappe Dewey, c’est moins l’aliénation, la technique, l’industrialisation et le marché, que la démultiplication des publics, de leurs sources et de leurs interrelations ; c’est la gravité et l’extension grandissantes des conséquences dont les activités sociales réputées privées sont suivies ; c’est donc la complexification sans précédent des mécanismes par lesquels les groupes composant le public au sens passif du terme en viennent à exister. D’où la question prioritaire qui traverse The Public and its Problems : comment tirer le public hors de son “éclipse” ? Comment transformer par le biais d'une régulation gouvernementale les effets préjudiciables de l'environnement social en faits sociaux dont les conséquences soient bénéfiques et partagées par tous, autrement dit, comment transformer les affections sociales passives en une action politique ?

La priorité pour Dewey n’est pas de faire dépérir l’État ou de le renforcer. Sa préoccupation première est de transformer la “Grande société” en une “Grande Communauté”, c’est-à-dire en un public effectif qui parvienne à l’articulation politique de ses intérêts sous la forme d’institutions gouvernementales appropriées. Or, cette translation de l’affect social vers une réglementation politique des activités sociales dont l’impact sur autrui est important, dépend de la manière dont le public identifie les circonstances qui l’ont fait naître. L’expérience politique réside donc pour l’essentiel dans le fait de subordonner à la conscience des effets de l’interdépendance, les activités dévolues à rétablir une situation où prévaudrait une égalité d’opportunité d’individuation pour tous. Aucune expérience au sens pragmatiste du terme ne peut faire l’économie du self-government. Ainsi, la phase active par laquelle le public peut à nouveau s’avérer une interaction de type politique est la phase durant laquelle le public “s’identifie lui-même”, ou définit son intérêt d’après les conditions factuelles de sa propre apparition.

Ce procès d’identification du public par lui-même précède nécessairement l’étape de la représentation politique par le biais de mandataires, d’institutions et d’espaces (au sens littéral) publics, que nous pouvons laisser ici de côté. Car la fonction du gouvernement est de prendre soin de l’intérêt public par des lois et des régulations, non de le définir. Puisque, en tant que service public, une bonne représentation est toujours relative à l’intérêt qu’un public parvient à identifier, et puisque cet intérêt varie en fonction de la nature des activités sociales, “l’État doit toujours être redécouvert”, ses formes sont toujours provisoires, comme l’est la limite entre le public et le privé, comme le sont aussi les divers organes par lesquels le gouvernement opère, et les fonctions particulières qu’il doit assumer au cours du temps. L’essentiel est ici de remarquer que l’initiative du public quant à la définition d’un intérêt de régulation politique des activités qui l’affectent, est en même temps ce qui procure à un public une existence objective et structurée. L’orientation générale des changements sociaux, les réformes, l’établissement des priorités, les préférences politiques, bref, les opinions du public sur les affaires communes, rien de tout cela ne peut venir directement des instances gouvernantes elles-mêmes, ni même des experts auxquelles elles ont fréquemment recours. La fonction primordiale du public est de repérer son intérêt et de l’identifier, comme le font aujourd’hui par exemple les victimes du tabagisme ou les producteurs de pêches. Et si, en matière de réforme sociale et d’intérêt public, le gouvernement n’a que rarement l’initiative, alors il est erroné de voir dans le public avant tout un organe de surveillance, de contrôle et de critique à l’égard de la domination politique — comme le fait encore Habermas et, plus généralement, ceux dont les positions d’inspiration kantienne font accorder une priorité au principe de l’usage public (critique et délibératif) de la raison. Ces fonctions de surveillance et de critique incombent certes au public, mais elles ne fondent pas son existence. Le public commence par se définir comme un rapport de la société à elle-même, non comme un rapport s’établissant entre la société et le gouvernement. La petite phrase de Tocqueville s’y applique parfaitement : “La société y agit par elle-même et sur elle-même”.

Le problème auquel le public d’une société complexe est confronté n’est donc pas tant fonctionnel ou statutaire que technique et intellectuel : comment les membres d’un public “dispersé” et “chaotique” peuvent-ils parvenir à la conscience et à la connaissance de leurs intérêts ? Comment peuvent-ils s’organiser et communiquer les uns avec les autres pour ainsi dire hors cadre et sans règles — puisque le cadre et la règle sont en matière de politique l’effet d’une réglementation qui est consécutive à l’institutionnalisation par le gouvernement de l’intérêt que le public a formulé ?

L’originalité de Dewey est ici manifeste. Par contraste, il semble que de nombreux penseurs politiques du vingtième siècle aient longuement erré en ce qui concerne le statut d’un public en démocratie : car, au lieu de se demander comment il serait possible aux membres d’un public mouvant et chaotique d’identifier leurs intérêts, ils ont transformé cette difficulté (qui est réelle) en une condition immanente d’incompétence, ce qui les a souvent mené à justifier que les publics soient exclus des phases de prise de décision, voire même de délibération, et qu’ils soient cantonnés dans le rôle d’acclamer leur gouvernement et les principes légaux sur lesquels il repose, de consommer de la décision politique et de voter de temps en temps[16].

La priorité de Dewey est évidemment tout autre. Il ne s’agit pas de mettre en cause le principe de la participation du peuple au gouvernement mais, au contraire, de renforcer cette participation, car elle seule permet la reconstruction du continuum à la fois individuant et socialisant de l’expérience commune ; elle seule permet que l’exclu redevienne “acteur”, et elle seule permet que les événements futurs de la collectivité portent la marque des contributions de chacun des associés.

C’est en référence à cette visée à la fois éthique et politique que l’appel aux sciences sociales par lequel Dewey conclut tous ses textes de philosophie sociale doit être compris. Dans une société complexe, seules les sciences susceptibles d’exposer les modalités de l’interdépendance et la manière d’influer sciemment sur cette dernière peuvent procurer les matériaux dont le public a besoin afin de savoir qui il est.

Afin de mieux présenter ce point, revenons-en à la “petite République” que forme la commune. Si elle a pu apparaître plus haut comme l’“interaction” politique par excellence, c’est d’une part parce que les conséquences des activités sociales y sont perçues et communiquées de sorte que les fins de l’association soient en même temps coproduites et communes. D’autre part, c’est parce que les problèmes dont les participants doivent traiter sont naturellement “placés sous leurs yeux” (Jefferson) et à leur portée. La “gradation de l’autorité” dans l’État que recommande Jefferson dépend de divers niveaux de compétence, auxquels correspondent divers types de situation problématique et diverses fonctions publiques, chacune étant relativement cloisonnée. De l’État fédéral qui se consacre aux relations internationales et à la défense, à la commune qui s’occupe par exemple des routes, de l’école et du commerce local, en passant par les États membres de l’Union et les comtés (county), les compétences varient, se contrôlent mutuellement et se complètent pour former le gouvernement juste d’une grande République. Car, “La manière d'avoir un gouvernement sûr, ce n'est pas de le confier tout entier à un seul, mais de le diviser entre tous, distribuant de manière exacte à chacun les fonctions pour lesquelles il est compétent.” Mais si cette “gradation de l’autorité” est essentielle à la stabilité de l’union, elle est en revanche accessoire quant à la formation de mœurs politiques démocratiques. Car ces mœurs proviennent de l’exercice personnel du self-government et de lui seul. En définitive, le système tout entier en dépend. C’est pourquoi Jefferson écrit : “C’est en divisant et subdivisant les républiques, depuis la grande république nationale et les plus petites qui lui sont subordonnées, jusqu’à aboutir à ce que chaque homme administre sa propre ferme ; c’est en plaçant entre les mains de chacun ce que son œil peut diriger, que tout sera fait pour le mieux.” Une fois les habitudes de gouvernement de soi contractées par la participation quotidienne aux affaires publiques, chacun se laisserait “déchirer le cœur hors de son corps plus volontiers qu'il ne laisserait son pouvoir lui être arraché par un César ou un Bonaparte[17].” De même, Tocqueville signalait que la liberté est mieux assurée lorsque chacun prend part au gouvernement des petites affaires qui le touchent, que lorsque quelques-uns administrent même démocratiquement les grandes.

Le problème essentiel des publics propres aux démocraties modernes, et que Walter Lippmann avait clairement signalé, c’est que même les affaires qui touchent les particuliers sont d’une complexité beaucoup trop grande pour qu’une connaissance sur la base des outils disponibles localement en soit possible. En d’autres termes, la “Grande Société” n’est plus susceptible d’être décomposée en “petites Républiques” politiquement autonomes et géographiquement distinctes, pas plus que les manières d’être lésé ou affecté, et les intérêts qui s’en suivent, ne sont plus déterminés par des relations interpersonnelles de contiguïté ou de proximité. Si les travaux de la ferme sont affectés par des activités distantes de plusieurs milliers de kilomètres et parfois de plusieurs années, alors la “gradation de l’autorité” n’a plus aucune pertinence, du moins si le système territorial de la représentation politique est maintenu. C’est pourquoi Dewey écrit que “l’époque nouvelle ne dispose d’aucun symbole en accord avec ses activités[18].”

Si, malgré ces difficultés, on maintient qu’une participation effective du public à l’organisation politique de lui-même est possible, alors il faut conclure que les enquêtes sociales doivent être conduites de sorte qu’elles mènent à identifier les conditions sociales problématiques, à les publiciser et à les faire connaître, après quoi la définition des intérêts, leur politisation et l’ajustement d’organes gouvernementaux pour les promouvoir seraient réalisables. Les sciences sociales susceptibles d’être menées dans une société démocratique sont donc destinées à procurer au public une forme de connaissance qui lui permette de situer les circonstances de son apparition, ainsi qu’à former le milieu dans lequel puiser des solutions pratiques, du sens et des projets communs.

Le point de vue pragmatiste sur la fonction et la finalité des sciences sociales en démocratie ne peut être qu’évoqué ici. On se bornera à quelques remarques destinées à établir une conclusion. Chez Dewey, l’appel aux sciences sociales est motivé par l’idée que celles-ci pourraient rendre visible le “vaste monde invisible[19]”. Si, en effet, le public dont Dewey fait le portrait est tellement désorienté, c’est parce que ses membres se bornent à percevoir, sans se les expliquer, les conséquences indirectes d’activités auxquelles ils ne participent d’aucune manière. Les raisons pour lesquelles la distance entre ressentir et expliquer ces conséquences ne peut être facilement résorbée tiennent à la complexité, à l’éloignement et aux ramifications compliquées d’activités telles que l’industrie, la technologie des communications, la mondialisation de l’économie (le thème n’est pas neuf) et celle de la guerre. Mais ces raisons tiennent aussi à la persistance des convictions et des valeurs qui avaient été élaborées dans un tout autre contexte, par exemple dans le contexte de la lutte contre l’oppression monarchique ou féodale, ou dans celui des “petites Républiques” autonomes, relativement stables et homogènes.

Parmi ces valeurs influant sur la politique sociale qui, de libératrices, deviennent conservatrices, mentionnons surtout l’individualisme et la théorie politique du laissez-faire qui s’y rattache, théorie aujourd’hui à nouveau en plein essor qui se solde par le fait que tout contrôle étatique, notamment dans les activités économiques, est perçu comme une enfreinte insupportable aux libertés individuelles. Les obstacles à “la découverte du public par lui-même” sont moins dus à des changements matériels considérables qu’au décalage qui ne cesse de croître entre, d’un côté, les conditions existentielles des modes d’interdépendance et, de l’autre, l’idée que la société se fait de son propre fonctionnement, des critères de légitimité de ses structures ou des moyens de parvenir à ses buts. Cette idée n’est en fait ni a-scientifique, ni pré scientifique. Elle provient en grande partie d’une science, dont les critères de rationalité se trouvent mis en cause. C’est en gros la science de Newton, d’après laquelle les phénomènes obéissent à des lois qui sont elles-mêmes éternelles et immuables. C’est surtout la version positiviste du déterminisme doublée du dualisme entre l’âme et le corps. En bref, Dewey cherche à faire passer la “philosophie sociale”, de l’interaction au sens où elle a été définie plus haut, à la “transaction”. Et cela, non seulement afin de trouver une parade efficace contre la portion de la population qui a intérêt à confisquer la science et la technique tout en prônant la liberté d’entreprise, l’égalité des chances et la compétition. Mais aussi afin de redonner au public une fonction d’initiative que les conséquences graves et persistantes des activités sociales lui ont fait perdre.

Du fait de ces priorités, la pertinence scientifique d’une proposition ou d’une mesure sociale dépend entièrement du degré d’articulation du public qu’elle permet d’atteindre une fois qu’elle est appliquée. Car en matière de sciences sociales, une hypothèse n’est vérifiée que si ses conséquences œuvrent en effet en faveur du public, soit en l’aidant à discerner les causes, proches ou lointaines, qui l’ont fait naître, soit en lui exposant le système social suivant ses zones de réformation possibles, soit en élaborant des mesures concrètes de changement social. Mais quelle que soit l’étape considérée de ce procès de communication réciproque entre le public et les sciences sociales, le test final ou conclusif d’une enquête est la transformation de l’interdépendance en une nouvelle figure de solidarité, par le biais des lois. Après quoi peut reprendre la série d’activités interhumaines qui avait été interrompue[20].

Un dernier point reste à préciser. Comme le suggère tout ce qui précède, seules les sciences sociales dont l’esprit est “interactionniste” peuvent aider à la reconstruction du public, et elles seules sont donc utiles, voire souhaitables, en démocratie. Il en va ici comme de l’éducation : un enseignement qui s’impose à l’élève de l’extérieur sans que ce dernier puisse coordonner les nouveaux matériaux à de plus anciens, fabrique une intelligence sous domination. Et une éducation qui, au contraire, prône qu’il faille laisser l’esprit des enfants se développer librement sans intervenir, fabrique des intelligences atrophiées, car “il n’existe aucune germination spontanée dans la vie mentale.[21]” De la même manière, Dewey appelle “absolutistes”, on l’a vu, les approches qui, au lieu de s’inquiéter de la réciprocité entre tel milieu social et tel type d’individualité, témoignent par leurs méthodes mêmes soit de la subordination des conduites individuelles aux exigences de la collectivité, soit d’une logique individualiste arrimée à l’idée d’une nature humaine inhérente, et donc favorisent dans l’application l’une ou l’autre. En guise d’illustration de l’une ou l’autre de ces approches, citons la science politique du sondage d’opinion qui suppose que les opinions dépendent de déterminants spécifiés (socio-économiques, ethniques, etc.), et qui donc évacue aussi bien en théorie que dans les faits la dimension politique et personnelle de la formation des opinions ; les tests d’intelligence qui tablent sur des ordres de grandeur supposés neutres et universels, et la multitude de procédures de sélection en relevant ; l’économie dont le principe de base est la “maximisation” personnelle des biens et sa filiale appelée “l’école du choix rationnel” ; les approches d’inspiration marxiste pour lesquelles les données de la conscience individuelle “reflètent” les rapports matériels de classe ; ou encore la psychologie béhavioriste et ses nombreuses applications, par exemple dans les écoles, les hôpitaux psychiatriques, le domaine de la publicité commerciale, et depuis moins longtemps, dans celui de la “gestion des ressources humaines”.

Puisque, contrairement aux sciences physiques, le matériau des sciences sociales est constitué par les relations sociales elles-mêmes, et puisque la société moderne est en partie modelée par les sciences qui la prennent pour objet et s’y appliquent, la question n’est pas de tester le degré de vérité d’une science par la considération d’elle seule, mais d’éprouver sa validité au contact du type de relations sociales qui est à la fois créé et jugé valable — sachant que, dans le domaine des affaires humaines, il n’existe aucune limite “naturelle” à l’ingénierie, ni à la manipulation d’autrui.

Le point de vue soutenu ici suppose donc que la neutralité scientifique soit chose impossible — ce qui n’entame pas la possibilité d’objectivité. Une doctrine sociale, du fait même qu’elle s’appuie toujours sur tel ou tel élément réellement existant d’un milieu donné (une valeur, une priorité, un problème social, une conviction, etc.), retourne dans ce milieu et le modifie. Les pratiques scientifiques sont elles-mêmes des “interactions” en ce sens qu’elles peuvent dépendre aussi bien des initiatives personnelles des chercheurs que des questionnements collectifs de leur époque, aussi bien de méthodes autonomes que de tests empiriques. Elles relèvent donc en droit du self-government. Par contraste, tabler sur la neutralité, c’est partager les présupposés des “libéraux” atomistes en croyant qu’il est possible que l’intelligence ne s’applique qu’à elle-même, sans “interagir” avec le milieu, avec les conditions matérielles qui le caractérisent, ses circonstances problématiques, ou ses opportunités de reconstruction (ne serait-ce qu’en termes d’institutions et de financement). Mais qu’un questionnement scientifique et sa mise en œuvre pratique produisent une modification des conditions données au départ — laquelle interdit en retour le dogme de la neutralité —, n’implique pas que les sciences soient le simple “reflet” de la société, de ses rapports de domination ou de ses effets “textuels”, comme le pensent les auteurs dits “post-modernes”. Dans la mesure où, au sens pragmatiste, toute enquête suppose la mise à l’épreuve d’une idée directrice ou d’une hypothèse (“la vache folle par son alimentation”) par la transformation de certaines des conditions préalables jugées significatives en un moyen d’action (“supprimer les farines animales”), le passage à la pratique ne concerne pas seulement les applications techniques d’une science mais, plus fondamentalement, la conduite de la science elle-même, notamment dans toutes ses opérations de validation. En matière d’épistémologie des sciences sociales, l’individualisme et l’holisme sont donc également inopérants.

Le but de ces dernières remarques n’est pas d’affirmer qu’il est impossible à une science soit d’être coupée des réalités présentes (c’est bien souvent le cas), soit d’être si immergée dans le contexte donné des relations sociales qu’elle n’en modifie rien. Leur but est d’insister sur le fait que dans ces deux cas, le rôle public de la science tel qu’il a été défini est sacrifié et qu’un effet concret de conservatisme l’emporte, soit, dans le premier cas, en laissant les circonstances ayant motivé une investigation aussi problématiques qu’au départ, soit, dans le second, en livrant le social à ses propres logiques (économiques, épidémiques, agricoles, etc.), sans y intervenir. Dans la mesure où une société démocratique est une société où chacun, du fait même de sa naissance et du potentiel de nouveauté qu’il apporte avec lui, doit pouvoir influer sur les conditions associatives, la conscience et le vouloir d’interaction peuvent apparaître comme les conditions auxquelles les sciences sociales entrent en accord avec une société dont l’idéal serait qu’elle soit “continuellement nouvelle”.

En conclusion, une politique de l’interaction scientifique est une pièce maîtresse du dispositif complet d’après lequel sont établies les conditions nécessaires à la reconstruction permanente des publics contemporains, et donc à la survie des communautés démocratiques. On peut laisser le dernier mot à Dewey, pour qui les conséquences des sciences sociales “continueront, dans tous les cas, à être les produits de l'interaction entre la nature humaine et les conditions culturelles. Ainsi la question première et fondamentale sera toujours quelle sorte de résultats sociaux nous voulons par dessus tout.[22]

 

Juin 2001 



[1] Cette expression provient de Ernst Bloch, dans Le Principe Espérance, Livre I (1959), Gallimard, 1976 ; un livre contre la posture contemplative “en majeure partie consacré à la tentative de donner une dimension philosophique à l’espoir situé dans le monde” (p. 13) et à repérer l’objectivité des possibles réels (p. 284). Les points de convergence avec le pragmatisme de Dewey sont nombreux.

[2] Comme l’usage de cette notion en anglais est admis en français, elle n’est généralement pas traduite ici. Cependant, “l’autonomie” par quoi le self-government est souvent traduit est moins juste que littéralement, “le gouvernement de soi” — expression qu’on rencontre chez Montaigne.

[3] Thomas Jefferson, to J. Adams, lettre du 21 janv 1812.

[4] Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Paris, Robert Laffons, collection Bouquin, 1986, Livre I, chap. 4, p. 83.

[5] Outre les ouvrages déjà cités, voir les historiens dits “du consensus”, notamment Daniel Boorstin, The Colonial Experience (1958) et The National Experience (1965), Random House, Inc.

[6] Hannah Arendt, Essai sur la révolution (1963), TEL, Gallimard, 1985, p. 255.

[7] L’expression est de Bernard Groethuysen, dans Anthropologie philosophique (1928-31), Paris, Gallimard, TEL, 1980.

[8] La question de savoir comment concilier la morale et la politique (ou, dans les termes si souvent repris de Weber, la conviction et la responsabilité) serait supprimée par cette version.

[9] Sur ces deux points, voir par exemple JD, "Pragmatic America" (1922), MW, vol. 13, et "Presenting Thomas Jefferson" (1940), LW, vol. 14.

[10] JD, Experience and Nature (1925), p. 44. “The world is precarious and perilous”. Pour Sydney Hook, l’un des meilleurs héritiers de Dewey, cette petite phrase est essentielle pour comprendre à la fois la “métaphysique” de Dewey et ce en quoi elle n’en est finalement pas une. Voir la préface de Hook à Experience and Nature dans LW, vol. 1. Dewey italise “world” pour éviter que ses lecteurs rapportent la précarité et le péril à des états d’âme ou à des images mentales. Il s’agit au contraire de traits objectifs.

[11] Lettre de Henri Bergson à William James du 27 Juin 1907, Mélanges, PUF, 1972, p. 727 ; une lettre édifiante.

[12] JD, "Creative Democracy — The Task Before Us" (1939), LW, vol. 14.

[13] JD, The Public and its Problems (1927), LW, vol. 2, p. 243-244.

[14] Sur la pensée politique de John Dewey, voir Westbrook, Robert B., John Dewey and American Democracy, Ithaca and London, Cornell University Press, 1991, ainsi que mon livre II, opp. cit., où sont traités la plupart des points de politiques qui sont seulement mentionnés ici. Les paragraphes suivants se fondent surtout sur The Public and its Problems et sur JD, Liberalism and Social Action (1935), LW, Vol. 11.

[15] Graham Wallas, The Great Society, A psychological analysis, New York, Macmillan, 1914.

[16] Sur ce point, je me permets de renvoyer au Livre I de mon ouvrage, L’Opinion sondée.

[17] Thomas Jefferson, Lettre à Joseph C. Cabell du 2 février 1816, pour ces trois extraits.

[18] JD, The Public and its Problems, p. 323.

[19] L’expression est de Walter Lippmann, Public Opinion (1922), New York, The Free Press, 1965.

[20] Ce point est plus particulièrement développé dans Joëlle Zask, “De quelle sorte d’accords l’union sociale dépend-elle? Le point de vue pragmatiste”, Cycnos, Nice, “Aspects de la philosophie américaine aujourd’hui”, vol. 17, n°1/2000, p. 95-109.

[21] JD, “Individuality and Experience”, LW, vol. 2, p. 59.

[22] JD, Freedom and Culture (1939), LW, vol.13, conclusion, p. 184.

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