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Philosophie, art et société

Philosopher en classe de terminale???

Entretien avec J. Zask paru dans Zibeline, Marseille, 2007.


1 ) Les instructions officielles du programme d'enseignement de la
philosophie en classe terminale 2003 disent : « /L'enseignement de la
philosophie en classes terminales(…) contribue à former des esprits
autonomes, avertis de la complexité du réel et capables de mettre en
œuvre une conscience critique du monde contemporain/. ».Qu'est ce que
cela vous inspire ?

Ces formulations posent deux problèmes majeurs :

D’abord, qu’un manuel de philosophie s’ouvre sur une série d’« instructions officielles » me semble choquant. Une instruction, au sens de directive, est  tout à fait contraire aux « esprits autonomes » que nous sommes mis en demeure de « former ». Voudrait-on nous « forcer à être libre » ? Associée à l’école, l’« instruction » comporte un autre volet : on parle encore d’instruction publique, obligatoire, civique. Mais instruire n’est pas éduquer. Instruire signifie en gros conformer un esprit à des compétences que l’institution juge socialement utiles. Eduquer signifie plutôt communiquer à un esprit une puissance qui lui permette un jour de contribuer à définir ce qui est valable ou pas pour sa société. Or, sous les déclarations « officielles », c’est le modèle de l’instruction qui s’affirme, aux deux sens du terme.

Ensuite, la finalité proclamée de l’enseignement de philosophie au lycée est tout à fait exorbitante. Je sais que beaucoup y adhèrent. Mais on doit tout de même s’étonner de la disproportion excessive entre la fin et les moyens : groupes d’une trentaine d’élèves, éventail plus que réduit des exercices pratiqués, cours magistraux, etc. Surtout, il est impossible aux professeurs de philosophie de « former des esprits autonomes » et « critiques » si les élèves n’y ont pas été invités depuis leurs premiers jours sur les bancs de l’école. D’ailleurs l’art de la pensée n’est pas réservé à la philosophie. En histoire, en littérature ou en physique, serait-on dispensé de « penser par soi-même » ? Il faudrait admettre que, dans les circonstances qui sont les notres, il s’agit d’une finalité assez déconnectée des réalités,; et on pourrait alors renoncer à évaluer les devoirs des étudiants uniquement à l’aune d’un idéal que bien peu de gens peuvent se vanter d’avoir atteint. On pourrait proposer, au moins au départ, des exercices plus simples et mieux adaptés aux compétences que notre instruction a « formées » chez nos élèves, ainsi d’ailleurs que chez nous-mêmes. En tout cas, c’est ce qu’on fait volontiers à l’université.

2) quel doit être l’enjeu de l’enseignement de la philosophie ? Que
doit il viser ?

Je ne veux toutefois pas dire qu’il n’y a rien de spécial à attendre d’un enseignement de philosophie.
A mes yeux, la philosophie est pour l’essentiel une critique de nos valeurs et un effort pour démontrer, par quelque méthode qu’on voudra, la légitimité ou la pertinence de celles auxquelles on tient. Tous les philosophes qu’on lit et relit depuis parfois des siècles ont entrepris un examen des valeurs de leur temps. Cela dit, ils n’ont pas joué la carte de la bonne conscience. Cet examen critique, c’est sur eux-mêmes qu’ils l’ont fait porter, et ce à partir d’une perception extrêmement fine des possibilités comme des blocages que présentait leur époque. Aujourd’hui, comme hier sans doute, beaucoup de gens, y compris nos instructeurs officiels, défendent sans examen des valeurs et tentent de les assener aux autres. Se demander d’où viennent nos valeurs, les passer au crible et les sélectionner, en créer de nouvelles, interroger les mobiles de notre adhésion et les mécanismes qui la fabriquent, voilà ce à quoi invite la lecture des philosophes. C’est là un service vraiment inestimable.
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